Publications

Toutes les publications

Derniers éloges à Alfred Bohnenblust (dit Boblu)

Ton vol s'est achevé! Ce vol, nous l'avons commencé ensemble ou presque... La Résidence au début des années 50 était notre tarmac, la Fermenta, notre piste de jeu et le dévaloir à ordures, notre téléphone. C'était le début de 60 ans d'amitié et de partage, dans les rires et les coups de gueule... 1955-56, c'est la construction de la villa aux Invuardes. D'astuces en bricolages paternels, elle est accueillante comme ta chambre dans laquelle nous passons beaucoup de temps. Ton collège est réussi comme le reste de ta vie: travail, opiniâtreté. Quand tu commences quelque chose, tu vas jusqu'au bout, quel qu'en soit le prix... pas de demi- mesure. Et les copains sont de tous les bons coups! Ah les Grottes et les camps de Pâques, l'eau gelée dans les marmites au petit matin glacial et le lapin qui ne voulait pas se laisser manger. Que de beaux moments partagés! Puis tu pars à Lausanne au gymnase et en même temps, tu passes ton instruction aéronautique préparatoire. Tu es à l'aube d'une belle carrière: l'aviation t'a ouvert ses portes. Payernois dans l'âme malgré un patronyme d'outre Sarine, tu es concerné par la vie de ta commune, tu t'engages dans un parti qui n'était pas le mien, à cette époque, nous étions cousins. Des quatre législatures partagées, est né le "Petit Conseil", réunion de quelques joyeux drilles nostalgiques de la salle du Tribunal. Soirées sérieuses accompagnées d'un petit en-cas arrosées d'un liquide qui n'est pas de l'eau! Merci Frédy pour ces bons souvenirs. Côté sport, bel homme certes, mais pas athlète! Le vélo, oui, pour autant qu'il ait un moteur! La marche, surtout en famille. Et la plongée, tu étais presque un pionnier à Payerne. Le club vit ses débuts à Chevroux. Le lac, la Méditerranées, même Christiane s'est transformée en sirène de néoprène. Merci d'avoir transmis ce virus aux deux Michel de l'équipe. Pour ma part, les images récoltées de la Thaïlande aux Caraïbes, des Maldives à la Mer Rouge et surtout en Méditerranée, la Corse, la Sardaigne, la Sicile, resteront à jamais dans ma mémoire, souvenirs lumineux comme le corail dans l'eau turquoise. La plongée m'amène aux Brandons. Avec le club, tu as participé au cortège en barbotant dans la piscine mobile construite à cette occasion. Délirante humidité dans le froid de février! Avec toute notre équipe, nous avons longtemps participé à la fête du vendredi, habillés par Christiane, fée de l'aiguille et du ciseau, pour finir lundi au petit matin: masquées obligent! Les «Anciens Collégiens» ont eu la chance de te compter comme membre actif du comité durant de nombreuses années. Soirées officielles, sorties extra-muros, où là encore, tu ne fais rien à moitié. Et le Tirage, la commission de tir puis les forains et la consécration suprême: Abbé Président. Réceptions, bannière, discours, tout cela te va bien. Pour le tir, visiblement, tu as souvent manqué d'entrainement. Heureusement, tes amis des «Yena . com» ont sauvé la mise du groupe par les coups centrés et les chants d'amitié. Merci et Salut l'Abbé!

Je terminerai ce tour d'horizon lié à notre équipe, à notre amitié en m'adressant à ta famille, à Christiane tout d'abord. Pour une épouse, son métier n'était pas facile: horaires irréguliers, absences, déplacements. Christiane, tu as toujours assumé, tu l'as encouragé, soutenu. Il a toujours pu compter sur toi. Et il y a vos filles, Sylvie et Sandra et leur maris, Pascal et Alex et tous vos petits-enfants qui ont fait ton bonheur. La séparation est difficile mais le soleil n'est pas loin. Puisse votre sourire revenir en gardant un souvenir lumineux de Frédy, mari, père, beau- père, grand-père. C'est le voeux de tous tes amis! J'ai une pensée émue pour ton frère Eric et son épouse Lili, malheureusement absents aujourd'hui. Et à toi Frédy, nous te disons tous merci pour ce que tu nous as apporté. Salut l'ami, tu nous manques déjà!

Au nom tous tes amis, Michel


La manette des gaz sur PC MAX, le ruban de la piste qui se déroule de plus en plus vite, l'avion qui s'arrache du sol et qui transperce la couche de nuage, accéléré par plus de 4 tonnes de poussée. A 3000 mètres et 800 km/h, le soleil qui explose à la vue, un paysage sublime d'alpes enneigées, de lacs sombres et le nez de l'avion qui reste pointé vers l'azur. Seul dans son étroit cockpit, le pilote tutoie le bonheur.

Sous son rotor hurlant, l'Alouette décolle péniblement puis se faufile entre les arbres avant de prendre de la hauteur. Le pilote cherche son chemin, en vol à vue ,en évitant les nuages de pente et les obstacles nombreux, pylônes et câbles. Il grimpe à l'assaut des montagnes, en se jouant des turbulences et dépose ses passagers à 3500 mètres, sur un éperon rocheux, en toute sécurité.

Voilà une partie du rêve de Frédy durant son adolescence. Pour le réaliser, il s'inscrit aux cours de l'Instruction aéronautique préparatoire, et ce sera le départ d'une belle aventure.

Le 3 février 1969, 15h15, le début de l'Ecole de recrues. C'est là que je rencontre Frédy Bohnenblust, mon aîné de deux jours. Nous commencions notre école de pilotes. Sélection militaire à Payerne, puis premiers vols au Tessin sur Bücker et Pilatus P-3. Puis à Sion, sur Vampire biplace où nos performances ont chuté. Heureusement qu'un changement de moniteur à sauvé notre avenir – à nous deux !

Tous les vols en double commande sont sélectifs, la pression est énorme et n'est compensé que par le plaisir de la troisième dimension. Enfin, c'est la transition sur Venom et le moment tant attendu, la remise du brevet de pilote militaire, à Zoug, le 17 mai 1970, et le bal qui s'ensuit, où déjà Christiane est au bras de son futur époux.

Nos chemins vont se séparer, pour se rejoindre à nouveau, à de multiples occasions.Fredy est d'abord pilote de milice à la 6, puis il entre à l'escadre de surveillance, à l'UeG et choisit définitivement la voie de pilote de carrière. Fredy était devenu Boblu, pour tous ses amis.

Boblu, tu as reçu beaucoup de cette aviation militaire ! Tout d'abord, ces milliers de vols fabuleux qui gravent dans nos mémoires des images lumineuses. Mais tu as reçu aussi la possibilité de découvrir des machines géniales. Transition sur le magnifique Hunter ,puis sur F-5 avec la première escadrille formée en Suisse, en 1979. Tu as pu également t'initier à la DEK à de nouveaux systèmes, le MAVERICK par exemple et tu as pu expérimenter de nouvelles procédures de vol, DACHRINNE et OSCILLO. Tu as pu, lors de stages d'échange, voler en France sur JAGUAR, avec nos amis gaulois, comme tu les nommais. Et raser les pâquerettes, en Hunter, à 800 km/heure et 30 mètres du sol, au-dessus des lacs et forêts de Laponie, en Suède du Nord. En pleine guerre froide, notre motivation était encore intacte.

Ensuite notre aviation militaire t'a aussi permis de réaliser un rêve pour la seconde moitié de ta carrière, voler sur hélicoptère. D'abord sur l'Alouette III, puis sur le Super-Puma. Un aboutissement et une perspective de vol jusqu'à l'heure de la retraite.

Mais Boblu, le plus important ce n'est pas ce que tu as reçu, mais ce que tu as donné Tout d'abord, tu étais passionné par l'activité de moniteur de vol, tu aimais transmettre ton savoir et tes compétences aux plus jeunes. Dans la formation de base, mais surtout dans l'instruction tactique. Sur Tiger en combat aérien, sur Hunter en attaque au sol, puis comme chef moniteur à l'école d'officiers où tu portais la responsabilité de l'instruction des pilotes hélicoptères.

Durant cette période, en tant qu'officier de tir, tu as également marqué de ton empreinte les PC de tir de l'Axalp et de Forel. Plus tard, tu as aussi mis à disposition tes compétences, pour sélectionner nos futurs pilotes. Chef de groupe à la phase de sélection au Tessin – à de nombreuses reprises. L'hélicoptère t'a aussi permis de donner une nouvelle dimension à ton activité de pilote au contact de la population, en apportant de l'aide directe, en aidant à éteindre des incendies de forêts, en transportant personnes et matériel, en Suisse et à l'étranger, au Kosovo par exemple.

Pour remplir cette tâche, tu as donné de ton temps, souvent pour de longues semaines, dans tous les coins de la Suisse et à l'étranger, laissant à Christiane la bonne marche du ménage et l'éducation des enfants. Tu as décidé de non seulement de voler mais aussi de servir. Servir, c'est accepter des responsabilités. Comme commandant d'escadrille et comme chef d'escadre, mais aussi comme colonel et chef aviation au premier corps, à Lausanne, sans piste et sans kérosène, mais finalement au service de notre beau pays, pour assurer cette sécurité qui est probablement notre bien le plus cher. Tous ces engagements t'ont permis de côtoyer de nombreuses personnalités, enrichissantes et hors du commun.

Mais comme aucun, tu as marqué l'UeG de ta personnalité. Cette personnalité qui a connu un brusque tournant en 1971, ou était-ce en 1972 ? Avant tu étais réservé et discret ; à l'école de pilote, tu étais souvent fatigué, tu préférais te ressourcer, dormir plutôt que sortir et faire la fête. Mais tu as changé – radicalement !

Pour toi, il est devenu indispensable, après une période de travail dominée par le sérieux, la rigueur, la précision, la discipline de te relâcher, de faire la fête, et tu étais souvent notre boute-en-train, dans diverses sorties d'escadrilles, et dans ce que l'on nommait les activités hors-service. Tu utilisais la soirée annuelle de l'UeG, après le rapport final pour endosser le rôle de fou du roi, pour donner des conseils et dire ses quatre vérités à toute la hiérarchie, dans le cadre de petits sketches mordants et acérés. Sketches appréciés et attendus par tous, d'une année à l'autre. Pour un soir, tu étais le héros de l'UeG.

Et ta personnalité t'a permis de forger de solides amitiés, dans toute la hiérarchie, de l'aide-mécanicien au commandant de Corps. A l'heure de la retraite, tu as décidé de tourner la page du pilotage, mais pas celle de l'aviation. Tu voulais encore donner – donner de ta personne ! Tu l'as fait surtout dans le cadre de Clin d'Ailes où tu as œuvré en tant que membre du Conseil de fondation, mais en particulier en tant que directeur du musée. Grâce à ton réseau de connaissances et à ton dynamisme, tu as assuré une bonne fréquentation, des présentations attractives et des journées thématiques passionnantes. Là aussi, tu vas nous manquer.

Après une séance au musée, le 30 janvier dernier, juste avant ta première opération, tu m'avais encore confié ceci, et je te cite : « Mon médecin m'a expliqué le pourcentage risque lié à cette opération, mais je garde ce chiffre pour moi. De toute façon je n'ai pas de problèmes avec ma décision parce que j'ai, derrière moi, une vie absolument passionnante. »

Cher Boblu, dimanche dernier tu as décollé pour la dernière fois.

Au nom de tous tes amis militaires, collaborateurs du musée, et pilotes, j'aimerais te dire MERCI – et te souhaiter un beau dernier vol.

Christian Papaux